À ta porte
Laisse-moi entrer
S’il-te-plaît, laisse-moi
Entrer,
La pluie commence à me faire mal.
Les gouttes frappent ma tête, lourdes
Comme des pierres.
L’eau qui coule sur mes vêtements
Et sur mon visage
Est comme du sang
Épaisse, chaude et ferreuse.
Je n’ai aucune idée
De l’endroit d’où je viens
Je n’ai fait que courir.
Je ne sais pas depuis combien de temps.
Je n’arrive même pas à dire
Si je suis fatigué.
J’ai pensé que tu pourrais m’aider.
Laisse-moi juste entrer, s’il-te-plaît.
Me mettre au chaud et au sec.
Il n’y a rien à raconter
J’ai simplement couru, beaucoup j’imagine.
Juste besoin de m’asseoir quelques temps
Et de me laisser sécher sous ton regard.
Regardes-moi avec tes yeux de braises ardentes, encore une fois.
Je sais que tu es furieuse, ou plutôt inquiète….
Furieusement inquiète, j’imagine…
Mais je t’en prie, poses ta main dans mes cheveux
Et chante moi quelque chose.
Je ne sais pas exactement pourquoi je suis venu te voir.
Juste besoin de toi, de ta franchise, de ton regard.
Besoin que tu sois dure avec moi, honnête.
Laisse-moi encore un peu de temps avant de parler.
Je n’ai fait que courir
Plus loin
À bout de souffle
Mal au ventre
Les poumons qui menacent d’exploser.
Courir
Les jambes qui brûlent
Les lèvres qui craquent
Courir
Les pieds qui frappent le sol
Comme des massues
Courir, frapper, courir,
Sans fin, sans but
Jusqu’à ce que mon corps lâche
Que mes jambes se disloquent
Que mon corps s’écrase au sol
Se déchire sur l’asphalte
Que tout ce qui tombe :
Ma peau, mes larmes, mon corps, ma raison,
Que tout s’écrase et se déchire au sol
Qu’on ne puisse plus ramasser les restes de mes illusions
Sans les débris d’asphalte et de verre qui jonchent les rues.
Que le concret se mélange à mes rêves en morceaux et que je disparaisse entre les couches de bitumes. Qu’on me passe sur le corps, qu’on me tienne au sol par tous les moyens possibles pour que je ne puisse plus jamais croire que courir changera quoi que ce soit à l’inévitable.
Que l’amour n’empêche pas de se déchirer
Au contact de la réalité.
Laisse-moi entrer
J’ai besoin de
Ton corps de rivière aux rapides furieux
Ton rire comme le vent dans les feuilles
Ton regard tranchant comme le bord des falaises
Tu es la nature indomptable et magnifique.
Tu es libre et forte et souveraine.
Laisse-moi seulement te contempler
Et me recueillir
Devant l’immensité de tes plaines.
Prends-moi dans tes bras
Rassures-moi, consoles-moi, caresses-moi.
Tu es la main d’un enfant sur le bras d’un vieillard
La promesse d’un présent
La rencontre de l’innocence et de la nostalgie.
Dis-moi que ta main finira toujours par trouver la mienne dans le noir.
Dis-moi tout ça
Et je partirai.